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La tirade des livres futurs

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Et vous, mon cher auteur, qu’avez-vous écrit ? – Rien.
– Rien du tout ? – Mais... – Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire... Oh ! Dieu !... bien des choses en somme...
En variant le ton... Par exemple, tenez :
Agressif : « Non, Monsieur, je n’ai rien terminé !
Si ça ne vous plaît pas, je n’en ai rien à faire ! »
Amical : « J’aimerais être sûr de vous plaire,
C’est pour vous que j’hésite interminablement. »
Descriptif : « Un pensum !... Un calvaire !... Un tourment !
Oh, que dis-je un tourment ?... C’est une vraie torture ! »
Curieux : « Comment font-ils, les rois de l’écriture ?
Finissent-ils toujours leurs livres d’un seul coup ? »
Gracieux : « Ma plume, hélas, ne m’aide pas beaucoup :
Je la vois, voletant au-dessus de la feuille,
Semer des mots au vent qu’il faut que je recueille. »
Truculent : « Oui, je suis de vingt tomes l’auteur :
Dix de Savoie et dix de chèvre. Quelle odeur !
J’en suis plus fier que de cent romans, en conscience. »
Prévenant : « Gardez-vous de trop d’impatience :
Mes livres pourraient bien se faire attendre encor. »
Tendre : « Détendons-nous dans ce charmant décor...
Venez plus près de moi... Parlons de vos lectures... »
Pédant : « On trouve en moi les atavofigures
De ceux que John Perry, entre autres grands auteurs,
Étudie sous le nom de procrastinateurs. »
Cavalier : « Quoi, l’ami, mes livres te déplaisent ?
Les seuls bons écrivains, ce sont ceux qui se taisent ! »
Emphatique : « Quand même on attendrait mille ans,
Jamais je ne pourrais achever mes romans ! »
Dramatique : « À ce point paresseux, c’est atroce ! »
Admiratif : « Jamais découragé, ce gosse ! »
Lyrique : « Muse ailée, porte-moi du secours ! »
Naïf : « Comment fait-on pour gagner le Goncourt ? »
Respectueux : « Voilà un auteur admirable :
Ne rien écrire ainsi, c’est vraiment remarquable. »
Campagnard : « Crévindieu, écrire ? Et pourquoué donc ?
J’ons ben assez à faire à nourrir mes dindons ! »
Militaire : « Écrivez sans délai ! C’est un ordre ! »
Pratique : « Si l’auteur ne veut pas en démordre,
Laissez-le dans son coin sans le pousser à bout. »
Enfin, rendant hommage à Marcel Bénabou :
« Les livres que je n’ai pas écrits, chose sûre,
Sont comme en suspension dans la littérature. »

À la façon du Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand.