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Portraits croisés de l’Atelier 4

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Christiane :
Je vois Fred en train de bidouiller un mobile avec une pince
Je sais que Fred fait des merveilles
Je remarque que Fred dispose les choses pas n’importe comment
Je souligne que Fred est un artiste
J’ignore combien de mobiles Fred a fabriqués depuis qu’il a commencé
Je pense que c’est beaucoup
Je suis sûre que Fred prend un grand plaisir à faire ce qu’il fait
Je me demande si Fred sait à quel point on admire ce qu’il fait
Je parie que Fred a encore plus d’un mobile dans son sac
Je refuse de penser que Fred puisse arrêter de fabriquer des mobiles
Je vois les mobiles colorés de Fred, immobiles dans le soleil de ce dimanche matin, à l’Atelier 4

Je vois un buste de femme nue avec des pommes à la place des seins et de la tête
Je sais que ce n’est pas vrai, mais quand même…
Je remarque que le buste est posé sur un plat
Je souligne que la pomme-tête est mangée en partie
J’ignore pourquoi ces pommes me font mal aux seins
Je pense qu’à moins d’être aveugle, nul ne sera indifférent à ce buste
Je suis sûre que Monique elle-même fut bien surprise de voir ce qu’elle avait fait
Je me demande quel effet ferait ce buste si on l’exposait dans l’église Ave Maria d’à côté pour figurer Ève au paradis terrestre
Je parie que…non, ce buste dans une église, ça l’fait pas
Je refuse de penser que Monique ait fait ce buste d’après modèle vivant
Je vois dans l’atelier une autre Vénus, noire, plus tranquille celle-là…

Marc :
Je vois un extincteur prêt à intervenir sur un feu de création.
Je sais qu’il manque ce jour, en ce lieu, la présence de trois artistes.
Je remarque une affiche jaune annonçant en lettre rouge vif que l’artiste est fragile comme pour conjurer le sort parfois contraire qui sévit dans le monde de la création.
Je souligne la présence d’un imposant étau rouge sur un établi qui m’évoque l’art utile.
J’ignore pourquoi le fil ne se tisse pas entre deux lieux de création existants.
Je pense qu’il y a quelque chose à faire...
Je suis sûr que cette matinée oulipienne me permettra de mieux percevoir d’autres horizons, d’autres créations, d’autres humanités.
Je me demande ce qu’il adviendra de cette matinée.
Je parie que je commence à prendre goût à cet exercice.
Je refuse...rien en ce lieu de création.
Je vois mieux maintenant pourquoi je me suis levé ce matin dominical.

Robert :
Je vois qu’une maquette de steamer peut devenir, du geste qui l’a collé verticalement, la touche abstraite d’un tableau en relief.
Je sais que sous le galbe lisse de la Vénus noire de Monique, il y a des couches répétées de toile et de résine, et même des boîtes de fer blanc à la place des seins et du ventre.
Je remarque le goût prononcé de Parviz pour les lectures ou musiques, sinon subversives, du moins moqueuses de l’ordre bien-pensant, à en juger par les dessins de presse et pochettes de disques dont il tapisse ses valises vernies : Charlie Hebdo, Georges Brassens, etc.
J’ignore comment finiront les plannings en métal désaffectés appuyés en attendant au mur : sans doute une de ces fulgurances rythmées où Frédéric télescope photos d’immeuble, écorce et tôle ondulée.
Je pense que la proximité d’autres plasticiens, ça stimule.
Je suis sûr que le regard riveté des visages de Parviz suit le vol éthéré des mobiles de Fred, que les fleurs de Nathalie se nourrissent de la main des Vénus de Monique.
Je me demande ce qu’il y a dans 2 petits tiroirs noirs, ici : des épingles, des plombs, des rondelles, des rivets ?
Je parie que tout le monde se pose la question.
Je refuse la triviale vérité que tant de beautés restent si méconnues.
Je vois ça, tout ça.

Sylvie :
Je vois les doigts agiles de cet artiste, travaillant à leurs rythmes et à la lueur du jour, un beau soleil fait briller les objets.
Je sais que je ne sais pas en faire autant, mais que j’aimerai essayer un jour.
Je remarque Fred en train de bosser sur ses œuvres, ses mobiles.
Je souligne que je ne pourrais pas travailler le dimanche matin.
J’ignore pourquoi Robert me fait lever ce dimanche matin ? Ah c’est pour écrire !
Je pense que c’est un plaisir pour lui et un plaisir pour les yeux.
Je suis sûre que ce capharnaüm d’objets ne l’est pas pour ces artistes contenpouriens.
Je me demande pourquoi si peu de gens s’intéressent à l’art, quel plaisir pour les yeux.
Je parie que ces deux mains sur le tableau vont se rencontrer et ne faire plus qu’une.
Je refuse de croire que tout cela ne serve à rien.
Je vois que dans ces valises superbement décorées, il reste encore un peu d’humanité.
Vive les artistes contenpouriens qui nous aident à rester vigilants, à réfléchir et en même temps à nous émerveiller, quel plaisir des sens !

L’Atelier 4, rue Jules Ferry à Hellemmes, regroupe des plasticiens adeptes de l’art comptant pour rien.