Accueil L’oulipien de l’année Mâchicoulis et Chocoprinces
Oscencore

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On dirait — on pourrait le dire — que je suis capitaine, pitaine par aphérèse, et Simon sous-chef, mon adjoint. En face, tout droit, ils seraient au moins, je dis mille ou plus encore. Le château, fortifications, tours et remparts, serait assiégé, entouré de toutes parts, sur toutes ses faces, on ne manquerait pas de répondre à leurs provocations par des tirs de catapulte, de violents lancers de projectiles : cailloux, boulets, de fer, de fonte, et voilà que soudain, inopinément Simon recevrait un mauvais coup et serait blessé, mais sans gravité, il perdrait un peu de sang mais ne souffrirait pas, se relèverait et on monterait à l’assaut, assaut qu’on espère final, histoire de passer à autre chose, le goûter peut-être, donc on attaque avec nos épées et nos cimeterres. Et aussi il surgirait un dragon mutant, il apparaîtrait, une espèce de chimère dotée d’une généalogie indiscernable et probablement née d’une manipulation génétique involontaire et non contrôlée, qui essaierait et tenterait de nous arrêter en nous barrant la route d’accès au centre du château, le donjon, mais je me cacherais et me dissimulerais à l’abri d’une chicane du mur d’enceinte, un machin genre mâchicoulis, et je le neutraliserais, le mettrais KO avec mon rayon laser — celui que j’ai un jour gagné et récupéré en combattant victorieusement un extra-terrestre, et alors on reprendrait le contrôle total et absolu du château, on en serait les maîtres et les gens détenus en otage, les prisonniers raflés dans les villages alentour, s’enthousiasmeraient, ils s’écriraient bravo, bravissimo, et merci, vous nous avez délivrés et sauvés et nous ne l’oublierons jamais.

Mais la cloche de la chapelle, ou mon smartphone — je ne sais plus vu que j’ai sélectionné une cloche d’église comme sonnerie, sonne la fin des amusements, on va passer aux choses sérieuses : les biscuits à la fraise, ou au chocolat, je préfère la fraise, mais s’il n’y a plus de fraise je me contenterai de chocolat, et s’il n’y a plus de chocolat non plus, tant pis je prendrai de la vanille plutôt que de rester sur ma faim.


Parmi les Exercices de style de Raymond Queneau, voir "Insistance" et quelques autres : "En partie double", "Hésitations", Précisions"...