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« Le pro » tague Oras

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Ça c’est une idée à Robert. Taguer l’Oras ! Ah oui, faut que j’ vous dise : l’Oras, c’est comme un pain de sucre qu’on aurait mis debout, l’ dos au mur sans mur, et au-lieu de crème chantilly, c’est de granit qu’y dégouline. Un vrai tas de cailloux l’Oras, avec une robe en granit pure, lisse comme de la soie, rien moins qu’accueillant. Du feldspath qu’y dit l’ dictionnaire, avec du mica et du quartz. Mais quand j’ suis parti vers l’Oras, j’avais l’horloge au granit, moi ! Aller y faire mes agapes, c’te blague : dans le mur le plus lisse du lisse, qui s’appelle le bouclier, si vous y trouvez un trou pour planter une aiguille, alors c’est que l’ matin même vot’ belle doche elle a passé l’arme à gauche et qu’ vous avez gagné au loto.
 
Moi on m’appelle « le pro », champion du tag, et parfois je taquine le granit. L’ puceau du vertige, qu’on m’appelle aussi.
 
Alors ça s’est passé comme ça. Jusqu’à la tite vire sur laquelle un carré de chocolat s’ poserait même pas sans qu’y plombe dans l’ ravin en dessous, c’était bon. Enfin presque. Une tite vire délicate et qu’on y est pas assurés, seulement à cinq mètres en-dessous ! Bon, Robert y m’a dit : quand t’es sur la vire, fais comme Olivier, prends un crochet et va z’y tu montes. D’abord Olivier c’est son complice, pas le mien. Et pis, avec un hameçon à granit qu’y m’a ajouté. Un hameçon ! Alors évidemment, des hameçons, j’ vais pas à la pêche, j’en ai pas. Quand j’ai dit ça à mon pote Lulu qui taquine le brochet tous les dimanches, il est parti à s’ marrer qu’il a failli s’étouffer : j’ai même pas d’ crochet à baleine, qu’y m’a dit, mais p’tet ben qu’un crochet à r’quins ça irait ! Alors me v’là sur la vire avec un crochet qu’ j’ai dû fabriquer, j’ai pris tous les clous qu’ j’avais et que je les ai tordus, j’en ai au moins cinquante dans la poche, c’est l’assurance de trouver le juste bon que j’ me disais. L’assurance, tu parles ! Y a pas une mutuelle qui parierait sur mon vilebrequin dans ma position. J’entends déjà le chœur des pleureuses ! J’ lis déjà la nécrologie : mort sans fil à la fois premier et dernier de cordée ! Enfin me v’là à farfouiller ma poche pour trouver ce sacré hameçon à poser sur une vague saillie. Ça y est, en v’là un qui tient ou presque, collé à la sueur sur le granit qu’en veut pas. Alors ouiche je me hisse oh hisse avec mes pots de peinture et la main à la tremblotte. Dans l’ Figaro des menteurs on écrirait : il s’est hissé harmonieusement, seul. Et moi j’ dirais surtout : sans réseauter ! Allez tant pis, en gâchant un peu vu la position, j’ai quand même réussi à écrire, en majuscules s’il vous plaît :
ZAZIPO 2011

Par hzenon

D’après Olivier Salon, à la manière de Céline.