Accueil L’oulipien de l’année Il se penche il voudrait attraper sa valise
Il incline le buste en direction du sol

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Il incline le buste en direction du sol.
Son cerveau reptilien lui souffle le désir
Qu’un beau geste du bras protégerait du vol
La valise en croco qui fait tout son plaisir.

Il sent autour de lui un air de convoitise,
Il en est si certain qu’il en est mort de trouille,
Se devinant cerné, dans sa grande hantise,
D’une horde d’escrocs au pouvoir d’un arsouille.

S’inclinant derechef, écarquillant les yeux,
Des deux mains il tâtonne comme un non-voyant,
Et sa surprise est telle qu’il se sent plus vieux,
Car il ne comprend rien, l’esprit tout vacillant :

Il ne retrouve plus son énorme valise,
Mais un paquet immonde, un laid sac de voyage
Rempli de vieux fayots, ce qui le paralyse,
En lieu et place, hélas, de son ancien bagage.

***

Le sort à notre insu tisse nos devenirs,
Deus ex machina qui grille nos espoirs
En nous marchandisant juste pour son loisir,
Et qui nous avilit, bonnards pour le lavoir.

L’anonyme destin retire sa jouissance
De sa capacité à se moquer des pauvres :
À Trifouillis-les-Oies on ressent sa puissance.
Chacun est provincial quand on vit loin d’Hanovre.

La naissance souvent nous conduit à la mort :
Nous sommes des greffons, produits d’une bêtise.
Qu’un seul parent nous manque, et le coquin de sort
Nous impose aussitôt une orde bâtardise.

Le temps est un rongeur affamé, une mite,
Baudelaire l’a dit. Il grignote nos os.
Par tronçons successifs ce salaud nous débite,
Tel un lépidoptère attaquant nos rideaux.

***

Toute poussière urbaine amène à la gadoue :
Un pardessus trop long doit rester dans sa housse.
Marcher sur les trottoirs, c’est marcher dans la boue.
Si l’on veut rester propre, il faut qu’on se retrousse.

La peur de se salir n’empêche pas les taches :
Pourquoi argumenter lorsque l’on est peureux ?
Devant la saleté rien ne sert d’être lâche,
Ou d’être porté pâle avec l’air malheureux.

De même qu’un enfant dans les flaques barbote,
Et comme Petula, siffle son gai refrain,
Nos pas, que guide un œil attiré par la crotte,
Automatiquement marchent dans le purin.

***

Quand le temps a passé, qu’on regarde en arrière,
On revoit tendrement son ancienne bicoque,
On regrette à la fin les agrestes ornières,
Avec le sentiment d’avoir changé d’époque.

C’était le temps béni, le bon temps des ados,
Où l’on pouvait encor s’habiller sans façon,
Se traîner dégueulasse en vêtements crados,
Sortir tout débraillé, ou vivre en caleçon.

La valise est perdue, et toute sa richesse :
Les écus, les florins, ne durent qu’un matin.
Nos pantalons percés avaient un trou aux fesses,
On nous a dérobés au métropolitain.


Sonnet "gonflé" où chaque vers du poème original est développé dans tout un quatrain. Structure globale :
4 strophes
4 strophes
3 strophes
3 strophes