Accueil L’oulipien de l’année Il se penche il voudrait attraper sa valise
Hordes

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À supposer une horde de mites pâlottes qui, grisées au matin par la lumière d’or fin brillant sur la gadoue et le toit des agrestes bicoques, se prennent à rêver de vair, de tissus et de rideaux, alors que nulle mine, ni filon laineux ne se présente à grignoter, pas même la moindre petite cotte, ni pauvres loques traînant à la boue, au purin, imaginez alors leur déception, dure est leur surprise de ne tomber que sur une valise pleine d’infects fayots, voyez par ce court épisode comme on est floué, comme l’illusion nous mène, comme notre soif de beauté nous égare et donne du monde une image fausse, je vous entends déjà me rétorquer que nous ne sommes pas des mites, OK je prends, mais on aurait tout aussi bien pu considérer une horde d’escrocs retroussant la babine en convoitant l’écu et qui, penchés sur cette valise de si vile marchandise, découvriraient qu’est arrivée pour eux la fin des haricots, j’avoue que la démonstration reste simplette et vous pourriez facilement y porter contradiction, prenons donc l’exemple d’une horde de provinciaux, menés par l’espoir d’une vie facile, courant au devant de mirages urbains pour finir par se greffer à d’infects trottoirs autour de cette valise à la pauvre pitance et se trouvant à ronger les os dédaignés par les chiens, ici encore vous pourriez arguer que ça manque d’arguments, que je vais au plus court et que je n’ai pas assez creusé le sujet, je l’admets, je suis assez feignasse à vider mon sac, prenons donc une horde de fayots, cour servile, du genre rapporteur et lâche, prompts à retourner la veste, riant avec le maître, la rumeur parle parfois de cette bâtardise hissée plus haut à force de bassesses, gymnastique fort prisée de ces porteurs de valise au service d’escrocs soucieux d’amasser or en lieu sûr, je vous pose la question en toute simplicité, que feront-ils ceux-ci, assis sur leur richesse, lorsque l’oxygène viendra à manquer, ne crèveront-ils pas la bouche ouverte comme nous tous, pas d’entourloupe possible cette fois, pas d’illusions à avoir, la mort gagne toujours et je pense que là, vous n’allez pas me crier aussi sec que mon esprit miteux me joue un vilain tour même s’il est vrai que la folie me pousse parfois au pessimisme le plus noir, heureusement un petit miracle arrive de temps à autre, lorsque, excités comme des mites sur le dos d’un mouton, nous tombons un matin sur une valise pleine de mots, repoussant ainsi et pour un court répit, la orde marchandise mondiale, ceci, bien entendu, à supposer que nous aimions jouer…