Accueil Z’écritoires En sortant des ateliers En remontant la rue et le temps
Gestomètres des sensations en parcourant le quartier de la Barrière à Hellemmes

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Christiane :
Prêter l’oreille aux bruits de la rue Jules Ferry : chant de la tourterelle, du merle, des moineaux, voitures qui passent, grincement des freins aux feux, mobylette au loin.
Apercevoir sur le trottoir et dans le caniveau l’huile de vidange, le sable qui la recouvre…, l’école jaune, le grand HLM de brique, le lierre sur le mur du garage, un enfant à vélo, casqué, la rue Maurice Berteaux dans toute sa longueur, ombre et soleil.
Voir la rue Camille Desmoulins en perspective : petits jardins, maisons coquettes, voitures des deux côtés.
Effleurer le mur peint en orange, la clôture verte du square interdit aux chiens même tenus en laisse, le tronc de l’érable, la boîte aux lettres « consulting management - la rage de vaincre », le géranium rose à la fenêtre.
Considérer le grand mur de la rue Mathias et sa végétation délirante : lierre, sureaux, érables, tout au bout les grands peupliers, et un camion blanc qui semble les traverser, en hauteur.
Écouter les murmures de la ville par un temps d’été - et soudain je suis à Montréal dans la 10e avenue bordée d’arbres, où j’ai marché en mai 2007 - une voiture qui se rapproche, et toujours la tourterelle, comme une plainte lancinante - 7000km me séparent de la 10e avenue de Montréal - la même tourterelle, ou une autre ?
Saisir au passage le chant sur deux notes d’une mésange dans le marronnier, le vol de deux papillons blancs.
Respirer l’air chaud vaguement goudronné, le parfum d’un sureau.
Entendre soudain le train, son cri, le crissement dans les fils électriques.
Voir les tags jaunes et verts dans l’abri sur le quai - 10h25 à l’horloge numérique de la petite gare.
Sentir le soleil sur la peau rue Paul Kimpe.
Apercevoir Casto à droite, LIDL au fond, un arbre cotonneux couvert d’une églantine rose - Dépôt interdit contre ce mur - on veut une nouvelle cuisine.com - fin de zone 30 - le G étoilé de GIGA store, et sur le mur de brique, à moitié effacé : « une tradition depuis 1866 ».

Retour :
Remarquer rue Paul Kimpe dans la courbe les maisons flanquées de lampadaires blancs et des antennes paraboliques, comme une épidémie, blanches, le petit square minus, une dame en noir tirant son « pousse-mémère », les arbres immenses de la SNCF, des érables.
Entendre le chant cadencé d’un pouillot véloce, des gazouillis inconnus, le cri rauque d’une pie, et encore la tourterelle…, et des voix d’enfants dans le jardin voisin du quai de la petite gare.
Noter rue Mathias l’alignement des maisons hérissées d’antennes, d’un seul côté - et partout, la brique.
Entendre en même temps une ponceuse, une voiture, le pouillot véloce, l’homme qui crache.
Voir un cycliste jaune, une maison blanche, une voiture rouge, une voiture bleue, un cycliste en noir qui lâche son guidon juste avant le virage pour remettre sa casquette noire.
Baisser les yeux sur le sol, le trottoir à gravillons, les herbes sauvages le long du mur, les paquets de clopes, un petit Mickey en plastique perdu par un enfant.
Entendre un enfant qui pleure en geignant rue Jules Ferry.
Capter du regard sur le fil électrique une mésange jaune et noire sur ciel bleu.
Remarquer avant d’entrer à l’Atelier 4 le square prison entouré de murs de parpaings gris et de grillages très hauts.

Marc :
Apercevoir trois amis en quête de perceptions.
Considérer quatre directions différentes.
Repérer un sens unique, quel choix ?
Examiner un mur long comme un jour sans fin devant lequel on ne peut s’arrêter.
Entendre mêlés le son d’une machine cheminote, les gazouillis d’oiseaux et le roucoulement d’une tourterelle.
Prêter l’oreille, à deux mètres d’un rail, le son à venir du train. La vision des rails de chemin de fer suscite l’attente du train comme si rails et train étaient indissociables. Lorsque les rails demeurent sans voix, l’absence et l’attente déçue surgissent. Le trouble des esprits s’installe et les murmures douloureux de l’histoire des hommes affleurent de nos mémoires.
Écouter le passage incessant des voitures.
Considérer l’absence du train qui révèle le chant d’un oiseau.
Toucher une brique de ce long mur pour marquer quand même un arrêt.
Entendre les pleurs d’un enfant dans une rue à sens unique.
Apercevoir l’entrée d’un lieu de création pour quatre.

Robert :
Entendre le bourdon du trafic et - à quelques mètres mais où ? - une tourterelle.
Découvrir qu’un cyprès géant, jamais vu auparavant, partage perpendiculairement l’horizon au-delà de la rue.
Viser la rue suivante, la plus chic du quartier : calme, lignes de fuite exactes, régularité y compris des courbes et obliques.
Considérer les ruptures dans la perspective si longue de la dernière rue tout au fond : béton, brique, verdure, mur, maison, encore mur, porche, lierre, pignon de face, toit de profil, tout sauf la monotonie qu’on lui prête à force d’habitude.
Effleurer le mur blanc où réverbèrent le soleil et le chant de la grive ; feuillage titanesque, vent calme de mai.
Se laisser surprendre, frôler par un train au détour de la station ferroviaire, trait de sabre d’un colosse samouraï, souffle prolongé d’échos métalliques dans le rail et la caténaire.
Repérer depuis l’impasse tout ce qui fait signe ostentatoire : LIDL, 4 passages piétonniers, 4 panneaux de sens interdit, 1 "cédez la priorité", 3 feux tricolores, les lettres GI de l’enseigne GIGA, CASTORAMA en entier, une boîte aux lettres jaune, une plaque avertissant « dépôt interdit contre ce mur », les restes d’une réclame sur la brique délavée : « une tradition depuis 1866 ».
S’apercevoir au retour qu’il y a, quai de la petite station, une horloge digitale des années 80, précise à la seconde.
Caresser le mur, brique polie, joint rude, s’imaginer aveugle ; et là je ferme les yeux pour davantage entendre le cliquetis d’une chaîne, le cycliste qui crache, la ponceuse ; je sens l’ombre puis le soleil ; alors j’évalue que si aucune rue - même voisine, même jumelle - dans l’univers n’a exactement le même aspect, aucune non plus n’offrirait à ma peau la même alternance d’ombre et de lumière, à mon ouïe le même panorama d’ambiances (tableau criblé de touches végétales sourdes, touches minérales réverbérées) ; comprendre par là qu’on puisse à son insu reconnaître sa rue sans la voir, et finalement l’apprécier comme aucune autre au monde.
Mesurer l’inéluctable effet du temps sur les briques poreuses, croûtes de sang séché.
Prêter l’oreille, arrivé au petit square, à des moineaux stéréophoniques, toujours la ponceuse, un volet roulant quelque part, les hélices des mobiles éoliens du voisin le Sculpteur, une auto qui s’approche, ralentit, tourne et s’en va.

Sylvie :
Voir un beau ciel bleu
Entendre le bruit d’une voiture, en ville ce n’est pas étonnant, même un dimanche matin, mais un petit garçon en vélo si !
Distinguer une grande maison au fond de la rue, ce n’est certainement pas une maison ouvrière.
Apercevoir ce grand mur de cette rue Ferdinand Mathias me laisse perplexe.
Découvrir que derrière ce grand mur existe beaucoup de végétation, des arbres, peut-être des âmes qui vivent et une grande grue qui me donne le vertige, qu’y a-t-il de l’autre côté ? Des rails, des arbres, des maisons ?
Entendre le train qui passe et le bruit des oiseaux en même temps.
Repérer cet endroit et se rendre compte que c’est beaucoup moins loin à pied qu’en voiture : Castorama, Giga, Boîte postale, Petite place, voitures à l’arrêt et voitures qui défilent, trop pour un dimanche matin.
Voir un homme avec un chien d’un côté et un vélo de l’autre, curieux non !
Prêter l’oreille au vent qui caresse mes bras au bord des rails du Mont-de-Terre ; graffitis, cartables à la fenêtre et toute cette rangée de maisons !
Examiner les toits de la maison 240 rue Ferdinand Mathias, antennes, paraboles, vive la haute technologie, les cheminées à côté, que dire !
Entendre ces cris de cette petite fille qui pleure, rue Jules Ferry comme un miaulement de chats, à la sortie du parc, c’est strident, triste, pourquoi ces cris ?
Effleurer ce grillage découpé pour que ce parc soit ouvert jour et nuit, contraire à ces murs et filets partout, comme un prison extérieure , ouvert grâce à un trou carré dans le grillage, c’est rigolo, non…