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Zazie n’oubliera pas Jean-Pierre

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Jean-Pierre ferait un sacrément bon héros de film. Pour imaginer une intrigue à bout de souffle, dresser la liste des opérations transformant l’inertie supposée d’un corps foudroyé en élan dont la force surpasse les possibilités humaines ? Kinēma, art du mouvement.

User donc de procédés narratifs classiques au cinéma, comme ce plan d’abord resserré sur un visage d’ange échevelé où la bienveillance le dispute à l’ironie, le cadrage s’élargissant aux épaules d’athlète, aux bras et aux mains en situations diverses, à commencer par le bonheur accompli d’amis le regardant passer des aubergines farcies à la vapeur, enfourner une palette à l’ail, fatiguer lestement une laitue vinaigre & lardons, gestes aussi méticuleux que jadis le cursus de ses leçons de français (avant que, jeune prof accroché à des béquilles, il fût empêché de gravir les escaliers du lycée)... le voir alors s’acharner à remonter le bicylindre d’une antique 2 CV aux segments défectueux, couper et coudre des théories de sacs en cuir façonnés sous ses mains de bourrelier autodidacte et virtuose avec des ciseaux monstrueux, du fil costaud, un marteau, un emporte-pièce, une alène : artisanat de muscle et de méthode selon les règles d’un compagnonnage bien assimilé qu’ensuite il transposera à programmer des ordinateurs gigantesques, concevoir des architectures vitrées, gérer la finance d’associations musicales et poétiques chères à son cœur — Zazie Mode d’Emploi oui —, chaque fois maître d’œuvre de parfaite ouvrage. Le film d’un héros qui n’avait pour avancer que la force des bras : assez pour nous distancer tous.


Jean-Pierre Chachignot est parti en 2023, il avait 74 ans. Sa vie, un époustouflant pied de nez à la souffrance.