Accueil L’oulipien de l’année Cité récitée
Un vaisseau, des vassals

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« Un vaisseau du désert » qu’ils ont dit. Mon cul oui, et cul
précisément mal assis, cogné, frotté, râpé, et finalement
ensanglanté pour cause de selle berbère posée, non pas sur le prétendu
vaisseau, mais plus simplement sur une bestiole à deux bosses et ce, trois
jours durant. Trois jours d’enfer, et pour voir quoi : une pauvre vallée
dite de Annan avec, en son centre un bled sec et pierreux, et entre les
pierres, entre les oreilles, du siroco à qui mieux mieux. Siroco qui,
ici, jamais ne cesse : zef trimballant des fragrances du genre : un goût
caillou, un goût maritime, selon ses humeurs… Du vent donc, et de la
poussière plein la bouille, plein les frusques… Sans parler qu’il
gueule tellement ledit zef, que c’est même pas la peine de causer dans
la rue vu que nul n’entend, vu que nul ne s’entend.
Paraîtrait même — selon les dires d’un bouquin style :
je-t’explique-le-comment-du-pourquoi-des-choses-, de-la-vie-et-du-reste-et-en-autant-de-chapitres
— , que le bled foutrait le camp si le zef pour une raison que lui seul
sait, s’arrêtait de se prendre pour lui même.
À moins que le zef ne cesse pour faire place à la pluie.
Parce qu’ici, lorsqu’il pleut, c’est-à-dire pas souvent mais au
printemps — époque où le zef prend deux trois jours de congés pour
s’abriter de l’ondée, faut croire —, un gosse de dix piges fouille
un sac de jute pour en extraire une pierre parmi d’autres : une pierre
d’argent.
Pourquoi le premier jour de pluie ? Nul ne le sait ! Toujours est-il que
le pauvre môme récupère sa pierre et lit dessus son avenir : boulot,
épouse, nombre de chiares à venir, emmerdes, bonheur, bref, lit toute sa
vie jusqu’à tomber sur la date de sa propre fin.
Certains mômes ont de la chance, d’autres la poisse, d’autres c’est
pire, d’autres c’est pire encore — non parce que jardinier à Annan
avec six femmes et huit gosses à charge pour trois jours de pluie par an,
me faites pas rigoler — mais aucun d’eux ne rechignent, et tous suivent
la voie dictée par la pierre.
J’ai avisé le vaisseau de l’ignominie d’une telle pratique. Il a
bavé, avant d’aller s’enfiler une bonne centaine de litres de flotte,
puis il a roté longuement comme pour dire :

— Qu’importe le mal au cul du touriste, tant qu’on lui raconte des
histoires dans le style mille et une devises entrantes. « Et après la
pluie : le vent », il a ajouté.