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Pendule tragique à Nancy

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Malgré elle, un fantassin balançait à toute volée sur une escarpolette Mlle Laveline, de Nancy. Chute mortelle de 4 mètres.

Il était en permission, mais elle ne lui avait pas donné la sienne. C’est donc à son corps défendant que la jeune Chloé Laveline décrivait le mouvement d’un balancier au-dessus des terrasses du parc de la Pépinière à Nancy. D’un balancier, et non pas d’un pendule, car la maigre planche de bois sur laquelle reposaient ses fesses était fixée par deux chaînes à la branche d’un Gingko biloba centenaire. Ainsi, même à supposer que ses pieds touchent le sable, et que le militaire l’ait poussée pendant plusieurs heures, nul n’aurait pu déceler dans les marques au sol quelque variation du plan d’oscillation des pieds de Chloé, et donc de ses jambes, et de tout ce qui s’y rattachait, afin d’en tirer des conclusions sur le mouvement de rotation de la Terre comme l’avait fait Léon Foucault le 3 janvier 1851. Constatant que cette expérience scientifique ne le menait nulle part, le fantassin surexcité, sourd aux cris de la jeune femme, se dit qu’en poussant plus fort encore, il parviendrait peut-être à un résultat probant. Hélas, en vertu de l’énergie cinétique acquise, les fesses de Chloé et Chloé tout entière se décollèrent de la balançoire et décrivirent un mouvement parabolique qui la conduisit à se rompre le cou quatre mètres plus bas dans un massif de rhododendrons.

Dilatation d’une nouvelle en trois lignes de Félix Fénéon.