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Les livres et l’œuf dur

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Les livres que je n’ai pas écrits, il est terrible, n’allez surtout pas croire, lecteur, le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain, qu’ils soient pour néant. Bien au contraire (il est terrible ce bruit) (que cela une bonne fois soit dit) quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim ils sont comme en suspension dans la littérature universelle. Elle est terrible aussi la tête de l’homme. Ils existent dans les bibliothèques, par phrases entières dans certains cas. La tête de l’homme qui a faim. Mais il y a autour d’eux tant de vain remplissage, quand il se regarde à six heures du matin. Ils sont pris dans une telle surabondance de matière imprimée, dans la glace du grand magasin, que moi-même à vrai dire, une tête couleur de poussière, malgré tous mes efforts, ce n’est pas sa tête pourtant qu’il regarde. N’ai pas encore réussi à les isoler, à les assembler, dans la vitrine de chez Potin. Le monde en fait me paraît rempli de plagiaires. Il s’en fout de sa tête l’homme, il n’y pense pas. Ce qui fait de mon travail une longue traque. Il songe, la recherche têtue de tous ces menus fragments inexplicablement dérobés à mes livres futurs. Il imagine une autre tête, une tête de veau par exemple avec une sauce de vinaigre ou une tête de n’importe quoi qui se mange.