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Je vous écris d’un pays lointain

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Je vous écris d’un pays lointain, à plusieurs milliers de km de la Terre. Même si cette planète rouge est occupée depuis des siècles, par nous humains, nous n’avons jamais vraiment réussi à la comprendre. Des traces des civilisations pluri-millénaires, disparues bien avant notre arrivée, continuent de déchirer le paysage. Tels des dieux vengeurs destructeurs, qu’étaient-ils pour disparaître totalement, ces êtres qui ont ainsi creusé leur berceau, au point de le détruire. Il ne reste rien. Il n’y a rien. On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble. Pourquoi ?

Je vous écris d’un pays lointain où l’odeur de soufre vous prend à la gorge. On ne peut parler qu’à faible voix. Il faut s’économiser. L’altitude aussi nous enlève l’oxygène de la bouche. Rien ne semble vivre, ni plantes, ni animaux. Et les hommes d’ici où sont-ils ? Des chemins pourtant sont tracés, lignes sinueuses taillées par la force des machines. On suffoque. Est-ce l’ardeur du soleil ou le silence écrasant des pierres qui nous abasourdissent ? On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble. Pourquoi ?

Je vous écris d’un pays lointain où le paysage est désertique, où toute civilisation a disparu. Il faut que je trouve un vase pour boire de l’eau. Je dois écrire mirages, les illusions, les hallucinations liés à l’étourdissement de mon esprit vagabond qui se perd dans un labyrinthe rempli de sable, de pierre, d’arbres pétrifiés. Le désert est titanesque, grandi et magnifique. On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble. Pourquoi ?

Je vous écris d’un pays lointain. Comment expliquer le styx. Je ne suis plus le même homme, suis-je un esprit, un démon, grain de sable ou d’étoile ou de blé ? Ce pays existera si cette missive vous parvient. Entendez-vous les nuances du souffle du vent ? Il est dit : « on ne voit bien qu’avec le cœur ». D’ailleurs ici, on ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble, pourquoi ?

Je vous écris d’un pays lointain. Après un long voyage à travers l’espace et le temps, nous voilà sur Tatoine, des espaces titanesques, des escaliers immenses. Cette planète me rappelle notre voyage sur Mars. Il nous a fallu plusieurs jours d’adaptation, car les denrées sont rares et l’eau rouge si belle… elle est toxique. Toujours aucun signe de vie. Le désespoir nous gagne de plus en plus, mais on continue les recherches scientifiques. Dans ces espaces désertiques on ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble, pourquoi ?

Je vous écris d’un pays lointain où la vie n’a de sens que le mot que l’on donne. Le soleil nous accompagne sur ce chemine sinueux et long. La solitude aussi est là, froide, noire, vide et lourde ; je l’oublie un instant, pour me reposer dans l’herbe haute d’un champ de paille. Il fait chaud, la température monte. J’ai soif, je n’ai pas pris de bouteille d’eau, tant pis. J’attendrai d’être rentré pour boire. On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble, pourquoi ?

Je vous écris d’un pays lointain. L’âpreté des chemins précède des paysages martiens. Y-a-t-il de l’eau claire ? Je ne crois pas. Elle est croupie et pleine de saletés flottantes. Les montées souillées se répètent pas à pas. Abruptes collines qui répandent un air de mort. Pas un buisson, encore moins un arbre ne dessine un paysage morbide ; les pieds s’empoussièrent et font flotter un air aride à travers des vallées immenses. On ne croit jamais arriver devant leur profondeur. On aspire de la poussière, rouge, brune, collante. Notre gorge s’éteint comme un volcan englouti. Notre regard cherche la vie avec acharnement et ne trouve que plaies béantes et vides. Que fait l’homme en cet endroit ? De temps en temps, une carcasse rouillée donne de l’espoir, vite disparu… toujours des monticules privés de vie. On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble, pourquoi ?

Début et fin extraits du poème d’Henri Michaux Je vous écris d’un pays lointain.
Poèmes réalisés à partir de l’exposition Titans de Laurent Pernot à l’espace 36 de Saint-Omer.