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Droit de réponse

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Monsieur le Rédacteur en Chef,
A la suite de la parution dans votre revue de
l’article "L’amour en Annan ? Du flan !", je vous fais
parvenir ce droit de réponse dont auquel j’ose espérer
que vous accorderez l’espace qui lui est dû aux termes
de la loi.

"L’amour en Annan, un espoir toujours vivant"

Vivement attaquée dans vos colonnes, où certains,
basant leur argumentation sur une lecture
superficielle, pour ne pas dire plus, ou plutôt moins,
de mon ouvrage sur la poésie annanite "Lunes et
dunes - l’écriture et l’amour en Annan", à propos
duquel je rappellerai simplement au lecteur que, sans
prétendre démêler l’écheveau des habitus annaniens, il
se contente d’être un essai sur le sens à donner aux
cryptolithes attribués aux troglodytes (les fameux
Grands Ancêtres du Vent) qui habitèrent Annan aux IIIe
et IVe siècles de notre ère, m’ont prêté des propos
sinon des préjugés fort éloignés des miens, je tiens à
réagir au plus vite, pour rétablir ici, en précisant
que je me limiterai à la défense d’une certaine
naïveté salutaire que voudraient combattre ces mêmes
esprits, que je qualifierai simplement, par politesse,
de négativistes, quelques vérités sur ce sujet,
l’amour en Annan, sujet certes délicat mais réclamant
aussi, de ce fait, une analyse moins manichéenne que
celle qui fut menée dans l’article paru dans votre
revue le mois passé, car, si nous savons tous que,
comme partout ailleurs dans les mondes connus, en ces
temps d’universalisation, en Annan de véritables
bandits plus ou moins proches des sphères d’un pouvoir
élu on ne sait trop selon quel processus et dont les
trafics vont du commerce illicite de la poudre de
carcasse à l’exploitation de l’être humain vivant (et
mènent, donc, effectivement, à un proxénétisme d’une
rare violence dont je n’ai jamais nié l’existence mais
auquel je n’accorde pas une importance démesurée,
contrairement à ce que l’on pourrait croire à la
lecture de l’article qui m’a fait sortir de ma réserve
habituelle) tentent de gangrener les fondements
solidaires de la société civile, il apparaît aussi à
l’observateur qui prend le temps de s’immerger
totalement, comme je le fis douze ans durant, au plus
profond des us et coutumes locaux - n’en déplaise aux
marxiens et autres touristes qui débarquent en Annan
pour quelques heures aux seules fins de conforter d’un
regard biaisé sinon distrait leurs idées toutes faites
sur l’Univers - que la société annanite reste
profondément attachée à ces valeurs cardinales pour
elle que sont l’amour du prochain et le respect
corollaire des libertés de chacun, un souci qui s’est
affirmé constant tout au long de l’histoire d’Annan,
et connaît même un regain de vigueur depuis la
décolonisation, un souci qu’aide à préserver, malgré
les abus (et la possibilité soulignée dans l’article
auquel je me réfère de l’existence de pratiques
proches de celles, dites de conscription, qui
permirent naguère en nos contrées aux plus nantis
d’échapper aux lois militaires en rachetant le lot
favorable de l’un ou l’autre pauvre hère, pratiques
dont pour ma part je n’ai jamais été le témoin en
douze années de vie commune avec le peuple d’Annan),
cette tradition d’ordre initiatique, le fameux "Secret
des Pierres" dont on s’est ici gaussé sans raison,
tradition scrupuleusement respectée depuis des siècles
et de nos jours encore, ainsi qu’en atteste la riche
histoire de la littérature annanienne, dont je ne
citerai ici que deux ou trois courts extraits plus ou
moins connus du grand public, extraits illustrant une
philosophie pleine de nuances bien éloignée du
"discours-alibi de la fatalité" que tiennent à y voir
certains psychosociologues (dont les a priori
déterministes ne sont d’ailleurs pas pour manquer de
sel dans ce contexte, soit dit en passant) et
démontrant l’attachement des Annanites à une liberté
peut-être insoupçonnable à d’aucuns mais qui n’en est
pas moins une, liberté fondée sur l’espoir de l’amour
sincère qui peut naître entre deux êtres, fussent-ils
en quelque sorte "liés" à des destins en apparence
incompatibles acceptés comme inéluctables dès la
préadolescence.
Et c’est bien cet amour que chantaient déjà les Grands
Ancêtres du Vent lorsqu’ils gravaient dans les
concrétions arénacées d’Annan leurs poèmes "en forme
de coeur" dont je ne donnerai ici qu’un exemple,
renvoyant pour le reste le lecteur intéressé à mon
essai précédemment cité, dans la superbe traduction
que nous en a donnée Narcisse d’Ombril (et reproduite
dans mon "Exemplier des Templiers"), traduction qui
respecte au plus près la forme dite "de parité"
privilégiée par les Grands Ancêtres d’Annan, et que je
résumerai ici brièvement en la qualifiant de jeu en
rimes croisées sur les sons primaux liant l’individu
au clan comme au noyau familial, exemple que voici :

Mon coeur ne saurait vous mentir
Déçu, déjà, de l’amour tant
Chanté, j’en sais le repentir !
Du rêve, il en reste pourtant...

Et ce poème, on ne peut que le rapprocher de cette
phrase du Grand Ermite (992-1046), plus connue depuis
la parution de défaitistes pseudoromans d’experts
comptables mais toujours aussi mal interprétée : "Nous
ne vivons l’amour intense que pour un temps", sentence
quasi millénaire donc qui donne la mesure de la
sagesse de la Tradition des Pierres et de sa
persistance dans l’histoire de ce peuple courageux qui
dans son ensemble résiste quoi qu’on en dise aux
sirènes de la liberté littérale, une tradition dont
les règles toujours bien vivantes rythment encore le
quotidien de nos contemporains annanites, une
tradition que reprennent d’ailleurs dans leurs écrits
les éléments les plus révolutionnaires de la société
annanienne actuelle qui, telle la mystérieuse
Comandante Nonimo, chef de ce mouvement dont, ironie
du sort, ceux qui écrivirent l’article qui me pousse
aujourd’hui à vous soumettre ces quelques lignes
soutiennent la lutte "pour une Annan
anarcho-syncrétique" (sic), nous disent : "Le Secret
des Pierres est celui de la liberté bien comprise : la
chambre est close et la clé se trouve à l’intérieur."

Anne Hanittu-Mouche