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Abandonnez vos chants

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Abandonnez vos chants et découvrez-vous la tête car voici le quartier où j’ai grandi avec mon père
Les maisons de briques s’alignaient monotones, et la Deûle inondait souvent les caves à charbon.

Aujourd’hui que l’eau a tout envahi, on voit dépasser les cheminées des filatures
et la quille de notre bateau racle les faîtages de tuiles

Des girafes en passant ont laissé un sillage
la poudre de charbon donne aux eaux la couleur du caviar.

Ayant lâché leurs rames et ôté leur bonnet, mes compagnons me disent :
garde courage et ne te laisse pas envahir par la nostalgie !

Je voudrais me laisser couler au fond mais le fantôme de mon père
me fait entendre raison : la mort ne me serait d’aucune aide

Le souvenir de Léopoldine et Charles, noyés dans la Seine achève de me convaincre
Hugo me les a fait aimer ainsi que Villequier la funèbre

Pendant des années, chaque soir je lisais un passage des Contemplations
en posant mes pieds glacés sur une bouillotte

Sanglotant par soubresauts je m’effondre sur le pont
et déchire du même coup un ligament et mon pantalon.

Textée à partir de la mu’allaqâ d’Imru’ al-Qays