Accueil L’oulipien de l’année C’est un soir de vent
Dénégation improbable d’un soir incertain

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Dire que j’en suis sûr, est peut être exagéré mais je suis presque certain que ce soir là, la météo annonçait un temps calme et sans nuage, alors vous comprendrez que je trouve improbable le tonnerre et la pluie dont vous parlez. Mais, continuez, je vous en prie.

Évidemment, peut-être que je me trompe, mais il se trouve que je la connais bien et je connais aussi son égale détestation et de la littérature anglaise et des phylactères, alors vous admettrez sans peine ma réticence à l’imaginer ainsi plongée dans une BD adapté des Hauts de Hurlevent, mais, continuez, continuez….

Vous semblez insister, je reste donc prudent, mais je vous assure que les services météorologiques mis à part, je me souviens personnellement d’un ciel dépourvu du moindre nuage et de la moindre goutte d’eau, alors je trouve un peu gros cette histoire de pluie persistante, de pluie d’orage et d’éclairs plus ou moins diffus. Mais, continuez, je vous en prie.

Pardon, mais je vous arrête tout de suite, c’est un détail, mais à ma connaissance, il n’y a pas la moindre végétation dans cette rue qui est, crois-je me souvenir, éclairé comme en plein jour, alors permettez-moi de reléguer vos frondaisons dans le gris du soir au rang de pure figure de rhétorique, mais continuez, continuez…

Bon, je ne reviens pas sur cette histoire de pluie et de vent ni ne vous répète qu’il n’y a pas la moindre végétation, mais cela mis à part, vous semblez ignorer le fait que sa chambre est une pièce aveugle. Et quand bien même, s’agirait-il d’une autre pièce de l’appartement, il se fait que de manière fortuite j’ai pu consulter le devis des travaux lorsque toutes la huisserie a été refaite et il mentionnait la réfection complète des fenêtres avec double vitrage alors, même avec la meilleur volonté du monde je ne peux pas admettre que de l’eau s’infiltre ainsi, même en minces filets, même si le vent assène des coups de bélier contre l’abondance d’une pluie à laquelle je ne crois pas, qu’elle soit désirée ou non par des hommes et de l’herbe dont l’existence même est douteuse. Mais continuez, je vous en prie.

Excusez mon soupir, je ne voulais pas vous interrompre, mais je tiquais simplement sur le fait que moi-même enfant, j’adorais l’orage et je comptais les secondes en attendant les coups de tonnerre qui suivent l’éclair, et je crois savoir que vous-même… Non ? Bon, c’est égal… Mais alors, vous imaginer bien l’incongruité que l’on puisse trouver dans le fait qu’un enfant sursaute au tonnerre et que dire d’un adulte ? Non je n’y crois pas, mais continuez, continuez…

Sur ce point là permettez-moi de vous faire remarquer la situation géographique de la scène. D’une part il y a cet hôpital dont la présence interdit toute manifestation sonore intempestive. Je le sais parce que j’ai fait partie du comité demandant que l’on fasse sonner à nouveau le beffroi du quartier toutes les heures tel que c’était l’usage au 18ème siècle. Malheureusement nous n’avons eu gain de cause que jusqu’à 17 heures, les autorités hospitalières ayant posé leur véto en arguant de la tranquillité des malades. D’autre part, c’est une des particularités de cette rue d’avoir des propriétés acoustiques exceptionnelles, c’est je crois du fait de la matière dont sont faites les façades des immeubles. Je vous invite si vous doutez de mes propos à venir le jour de la petite kermesse organisée chaque année, on y donne un petit concert sur la placette qui est exactement à l’autre extrémité de la rue et l’on entend aussi bien de ce côté-ci qu’à quelques mètres des musiciens. Alors vous voyez bien que votre affirmation souffre d’une double impossibilité. Même dans l’hypothèse où le vent soufflait ce soir, il n’aurait pas suffit à étouffer le bruit d’une cloche ou d’un gong, et la présence même de ce gong est sujette à caution. Vous voyez bien. Mais continuez, je vous en prie.

Continuez, j’adore votre Sainte-Catherine, s’il vous plaît, continuez.

Mais ne partez pas ! Monsieur Mathew, Monsieur Mathew…