Accueil L’oulipien de l’année Crochet à goutte d’eau
Crochets à goutte d’eau et par le bistrot

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Le granit est compact et l’objet de ce texte. Lisse. Superbe. (Le granit, pas le texte).
Parfois, pas la moindre fissure ni rature pour les barrer.
Pas le moindre trou noir pour dessiner un œil au premier ou de mémoire pour interrompre la déclamation du second.
Pas la moindre règle ni même réglette pour échancrer l’un ni contraindre l’autre.
L’un gonfle le torse, l’autre l’auditeur.
Et la voie s’appelle The Shield and Goat, le bouc lié et la chèvre avec lui, et prend un x pour poursuivre sa lecture.
 
Lorsque les aspérités font défaut, rendant la pose de matériel d’assurage et de progression impossible et celle devant le photographe tendue,
Il reste un moyen, et moi dans mon lit. Unique. Ultime.
La réserve des grands cas, et celle dont je me fais devoir quand le danger plane.
 
Vous prenez un crochet à goutte d’eau et moi la poudre d’escampette.
Un simple crochet, de métal pointu et acéré pour vous, par le bistrot pour moi.
Hameçon à granit, chaland à zinc, matières l’une abrasive et l’autre à discussion, de comptoir surtout.
Vous posez l’hameçon sur l’écaille qui saille et le barman sa routinière question.
Du bout d’un millimètre et des lèvres, respectivement.
Voilà, ils sont posés.
À l’extrémité inférieure du crochet, vous suspendez une petite échelle de corde de trois marches et vos espoirs.
Vous inspirez de l’air frais et une admiration dubitative.
Vous posez le pied sur la marche inférieure et le doigt dans l’engrenage.
Et vous chargez lentement tout le poids de votre corps et peut-être de votre vie sur cette mince margelle.
Très lentement. Tout geste brusque peut faire déloger le crochet de sa maigre encoche et votre affaire.
Progressivement, c’est à l’aplomb du crochet que se place votre poids et du vôtre qu’on s’étonne.
Au fur et à mesure, le crochet et le doute introduisent leurs pointes dans la roche et votre caboche, et si le crochet se trouve raffermi il n’en est pas de même pour vous.
Encore plus lentement, vous vous rapprochez du ciel et du Ciel, après un prévisible crochet par le sol pour ce dernier.
Évitez à tout prix de regarder sur quoi et où vous allez reposer entièrement et en paix.
L’air vibre, mieux eût valu vous en donner.
 
El Capitan, œuvre collective des Salons Olivier et littéraire