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Cendrillon babélisant dans les cendres

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Il était une fois un gentilhomme qui épousa, en secondes noces, une femme, la plus hautaine et la plus fière qu’on eût jamais vue. Elle avait deux filles de son humeur, et qui lui ressemblaient en toutes choses.

Le mari avait, de son côté, une jeune fille, mais d’une douceur et d’une bonté sans exemple : elle tenait cela de sa mère, qui était la meilleure personne du monde.

Les noces ne furent pas plus tôt faites que la belle-mère fit éclater sa mauvaise humeur : elle ne put souffrir les bonnes qualités de cette jeune enfant, qui rendaient ses filles encore plus haïssables. Elle la chargea des plus viles occupations de la maison : c’était elle qui nettoyait la vaisselle et les montées, qui frottait la chambre de madame et celles de mesdemoiselles ses filles ; elle couchait tout au haut de la maison, dans un grenier, sur une méchante paillasse, pendant que ses soeurs étaient dans des chambres parquetées (...).
La pauvre fille souffrait tout avec patience (...). Lorsqu’elle avait fait son ouvrage, elle s’allait mettre au coin de la cheminée, et s’asseoir dans les cendres, ce qui faisait qu’on l’appelait communément dans le logis Cucendron. La cadette, qui n’était pas si malhonnête que son aînée, l’appelait Cendrillon.

Or s’asseoir dans les cendres est toujours quelque chose d’un peu émouvant : une limite imaginaire, matérialisée par un tisonnier [...] suffit pour tout changer, et jusqu’au paysage même : c’est le même air, c’est la même terre, mais la route n’est plus tout à fait la même, la graphie des panneaux routiers change, les filles ne ressemblent plus tout à fait à ce que nous appelions, un instant avant, fille, les cheminées n’ont plus la même forme [...].

Moralité : Cendrillon babélisant dans les cendres ne s’entend, au mieux, qu’à Pompéi.

Chantal Perecoperraubillard